Konenki
Vous lisez

Sexualité et amour : êtes-vous en bonne santé sexuelle ?

0
Sexualité
Relations / Sexualité

Sexualité et amour : êtes-vous en bonne santé sexuelle ?

On parle sexualité avec Catherine Grangeard, psychothérapeute, psychanalyste et psychosociologue, auteure de l’ouvrage « Il n’y a pas d’âge pour jouir ». 

Sexualité Catherine Grangeard
Crédit photo/ Delphine Houdemont

Notre entretien démarre fort avec Catherine Grangeard. Engagée, elle l’est !

La psychothérapeute s’était lancée dans l’écriture de son dernier livre « Il n’y a pas d’âge pour jouir » pour répondre à Yann Moix. Souvenez-vous, l’auteur animateur de 50 ans déclarait « Une femme de plus de 50 ans est invisible sexuellement. Le corps d’une femme de plus de 50 ans n’est pas magnifique du tout ». Ce qui a fait bondir la psychanalyste qui a décidé de se battre contre les idées reçues sur la soi-disant retraite sexuelle des femmes de + 50 ans, les diktats de beauté et de jeunesse. Comment un homme peut mettre à la retraite sexuelle 14 millions de femmes et pire, prétendre dire tout haut ce que les hommes pensent tout bas sur la sexualité des femmes ? 

Il y a urgence. Pour la psychanalyste, il faut être capable maintenant de travailler sur l’aspect sociétal et psychique de ces préjugés

Si on ne comprend pas le poids des mots, des idées reçues, on restera dans une société sexiste et « antivieux ». La sexualité est importante à tout âge!

C’est notre devoir à tous en tant qu’individu, et puis ensemble, de changer les choses. N’oublions pas que nous sommes des êtres composés de représentations sociales qui influent sur notre psyché individuelle. 

On s’imbibe du social, il faut donc faire bouger le social. Et réagir quand on pense que quelque chose de grave vient d’être dit.

Il est nécessaire de parler de sexualité de manière ouverte

Catherine évoque le principe du « Tipping point » ou le point de bascule, si intéressant en sociologie. Ces 10 % qui peuvent changer la donne. L’espoir est à 10 %. Ça peut être vous, moi…

Par exemple, vous êtes à un dîner de 10 personnes et on se moque de Charlotte, « la mal baisée » à table.

Imaginons qu’une personne relève la moquerie et s’empare de la question. Avec un autre ton, sans grivoiserie, sans langue de bois, sans moquerie sexiste. Si une personne prend la parole sur un sujet ou lève un tabou, elle peut créer un changement.

« Parlons sérieusement de santé sexuelle, parlons de la frustration de Charlotte. La faute à qui ? »

Ce qui était une plaisanterie sexiste devient un débat. Parler sérieusement de santé sexuelle a une incidence. Il faut parler, provoquer une ouverture chez soi et chez les autres. 

Alors oui, aimer faire l’amour est sain et la frustration peut être dépassée par le dialogue.

Que faut-il pour une bonne relation sexuelle ?

Au sein d’une relation sexuelle, il y a toujours le Sujet et l’Objet. Une bonne relation, c’est quand le passage entre les deux se fait naturellement. On articule sans cesse, on passe de l’un à l’autre. On sait huiler les rouages pour que ça se fasse naturellement, sans accros…

Lorsque les rôles sont figés, ils sont compliqués à faire évoluer. Une femme en position d’objet sexuel correspond aux idées sexistes d’une non mobilité. La femme est inscrite dans la passivité et alors, seul le partenaire est sujet actif. Nous voyons un impact sous-jacent de ces positionnements lorsque l’on s’interroge sur les raisons pour lesquelles l’expression d’un désir est plus volontiers conjuguée au masculin qu’au féminin. Il ne s’agit pas de positions sexuelles durant l’acte bien sûr, mais de positions psychiques, d’un schéma relationnel. 

Il faut apprendre à se pencher sur sa relation, mettre en lumière les rouages.  

On ne peut faire bouger que quelque chose dont on a pris conscience

C’est à chacun de mettre en lumière son fonctionnement, même quand il s’agit de sexualité. Il faut déconstruire et construire. On peut se saisir de ça : c’est l’empowerment. 

Par exemple, pour revenir à ce dîner avec Charlotte, prendre la parole, ouvrir le débat, va permettre que les représentations bougent et que les gens s’emparent des idées reçues et les revisitent. Les participants de ce dîner auront une matière de réflexion. On aura ouvert une brèche. Seuls ou en couple, en rentrant chez eux ou plus tard, ils vont peut-être regarder eux aussi leur relation de près. 

La société est tellement imbibée de préjugés sur les femmes, sur l’âge, sur la ménopause et sur le corps que c’est une prise de conscience individuelle et collective qui pourrait vraiment changer la donne. 

Pourquoi est-il important de se soucier de sa santé sexuelle à tout âge ?

Il faut bien comprendre que c’est une partie de notre santé. S’il y a souffrance sexuelle, c’est notre santé qui est en jeu. Il faut savoir que ce n’est pas anodin, ce n’est pas « la cerise sur le gâteau ». Vous savez, la souffrance sexuelle entraîne un besoin de compensation dans l’agressivité, l’alcool, le sucre… Cette fuite en avant entraîne des problèmes. Nos cabinets sont pleins de patients qui souffrent et certains expriment partout une haine de l’autre. Socialement, la santé sexuelle a des répercussions, il faut en être conscient. 

Comment évaluer notre santé sexuelle ? 

Il n’y pas de modèle unique, pas de chiffres, ni de standards à respecter. 

Au fond, ce qu’il est important de savoir, c’est si les gens se sentent bien dans leur vie, dans leur couple. Il n’y a pas de recette pour tous. Que vous soyez en couple, en solo, cohabitant ensemble ou pas, êtes-vous satisfait ? 

Quand on répond « ça ne va pas, ou ça va moyennement », il faut peut-être creuser.

Sachez que vous pouvez même avoir complètement exclu la sexualité, sans avoir à changer. Le principal est de ne pas ressentir trop de souffrance. 

J’accompagne mes patients en essayant de comprendre, certaines fois en les déculpabilisant, d’autres fois en essayant de comprendre pourquoi le désir n’est plus là. Il faut mettre les pieds dans le plat parce que la sexualité est importante et fait partie de la santé mentale. 

Les divorces après plus de 35 ans de vie commune ont été multipliés par 9 en 40 ans !

Les séparations des + 60 ans ont doublé en 10 ans. Dans 60 % des cas, les femmes sont à l’origine de la séparation. Que vous apprend votre expérience auprès des couples sur ce phénomène ?

La vie sexuelle, c’est une question de rythme. Comme une danse.

Chaque couple a son histoire et sa réponse. On ne peut pas généraliser, il faut comprendre que chaque couple a son mode de fonctionnement. Ce fonctionnement vient expliquer pourquoi on en est arrivé là. Est-ce que les choses ont été discutées au fur et à mesure ? 

Est-ce qu’on était dans une relation Objet/Sujet qui ne bougeait pas ?

Je rencontre des situations simples et d’autres sans espoir. 

Dans certains cas, l’humour, l’amitié sont des substituts sexuels. 

Chaque couple a ses atouts et ses problématiques. Vous savez, je ne suis pas pour ce qu’on appelle « le développement personnel », tous ces livres et théories qui impliquent qu’il existe une seule solution, la même pour tous. 

Il faut prendre le couple à l’endroit où il est en fonction de son histoire. 

On part de là où on en est. 

Certains ont une problématique sexuelle, alors on en parle. D’autres exprimeront une souffrance personnelle, alors il faut se pencher sur soi. Il faut trouver cette ouverture à soi. Le plus important est-il de sauver l’amour ou le couple ?

Vous parlez souvent d’ouverture, pourquoi ?

Pour moi, l’ouverture est le maître mot. Ça ne veut pas dire qu’on détient la solution aujourd’hui, mais l’ouverture à soi est cruciale. 

C’est l’ouverture à cette partie de soi qui est enfouie, l’ouverture, par exemple à des souffrances depuis l’enfance, l’ouverture à ce qui ne va pas et qui nous fait peur.

Par exemple, j’ai eu une patiente avec qui j’ai travaillé récemment. Au fil de notre travail ensemble, elle a eu cette ouverture à « je ne supporte pas que mon compagnon se ferme pendant 4 jours, je voudrais lui dire mais j’ai peur qu’il se ferme pendant 4 semaines ».

Cette femme avait peur des conséquences si elle se livrait :  se retrouver seule et supporter des conflits. 

C’est un problème. Nos peurs nous paralysent. Vous savez, ce n’est pas parce qu’on ne s’occupe pas de nos peurs, qu’on met un couvercle, qu’elles vont disparaître. 

Il faut fréquenter sa peur, y travailler 

C’est ce que nous avons fait avec « j’ai peur qu’il se ferme pendant 1 mois ». On a cherché ensemble à savoir d’où lui venait cette peur ? Est-ce une reproduction de ce qui se passait autrefois chez elle ? Il est vraiment vital de regarder d’où viennent nos peurs, vous savez « éplucher l’oignon », couche par couche. On est souvent étonné de ce qu’on découvre.

Dépassez ces peurs étape par étape, faites ami-ami avec vos pensées, n’hésitez pas à converser avec vos peurs.

S’ouvrir à soi, c’est important. Mais l’estime de soi est aussi abîmée par ce que la société nous transmet 

Les diktats, la violence symbolique nous brouillent la vue. Nous avons toutes et tous intériorisé des normes sociales. Si nous voulons aller mieux, il nous faut dénoncer ces idées reçues.

Tant qu’on n’a pas décrypté le poids du symbole (« vous savez la fille mince et jeune des affiches ») des propos (« elle est mal baisée donc frustrée ») des préjugés (« à la ménopause les femmes sont moins intéressées par le sexe »), on se l’introjecte psychologiquement, ce sont des postulats intégrés qui nous empêchent d’y voir clair. 

Soyez conscient de cette « fabrique des préjugés ». Il faut en prendre conscience pour s’en libérer. 

On ne peut pas remettre en cause tout ce qui n’est pas « re-réflechi » ou «re- maché ».

Nous croyons que c’est normal. Nous nous sommes habitués et avons intégré beaucoup de préjugés. En s’habituant, on croit que c’est normal. La prise de conscience est indispensable pour déloger les préjugés.

Comment pouvons nous en tant qu’individu faire bouger notre regard et celui de la société ?

Partout, apprenez à comprendre, à analyser, à revisiter les choses. Soyons tous des acteurs actifs pour soi et pour la société dans son ensemble.

Par exemple, dans nos sociétés qui passent leur temps à dominer la sexualité des femmes, on associe la ménopause à une sexualité moins bonne. Que se passe-t-il ? Souvent les femmes désertent le terrain, certaines se sentent même soulagées, elles suivent les préjugés sur la sexualité des + 50 ans, sans remettre en question les choses. Il y a un réel paradoxe puisqu’en même temps, il se dit que jamais la sexualité n’a été aussi satisfaisante !

J’irais plus loin, même si on n’est pas dans une souffrance, qu’on « fonctionne », il faut faire ce travail, ce n’est jamais inutile de progresser ! 

Il faut prêter attention à certaines choses. C’est aussi ce que j’apprends des couples qui viennent après de longues années de vie commune. A ne pas trop se poser de questions, un jour ou l’autre, on est surpris. 

Et c’est peut-être trop tard…

Vous dites dans votre livre « avant de jouer collectif, il est nécessaire de retrouver la confiance en soi »…

Certaines femmes vont jouir de ce qu’on leur accorde pendant un moment mais une partie de leur être est nié à un moment, en avoir conscience entraînerait à vivre différemment. Arielle dans mon livre est un cas-type…

Par exemple, posez-vous la question : par rapport à quoi se trouve-t-on séduisante ? Des photos de magazine, des photos d’enfance… Penchez-vous sur les réponses, comment les avez-vous fabriquées ?

Vous savez, je vois tous les jours des femmes qui me disent avec des gros mots qu’elles sont moches. C’est terrible cette cruauté qu’on s’inflige à soi-même. Elle vient de la violence des modèles imposés, il n’y a qu’un seul type de corps : ferme, jeune, tonique. Même dans la publicité, les photos de femmes seniors ont au maximum 45 ans.

C’est important de comprendre le poids des représentations et d’en changer. 

Hier, j’avais une patiente habillée super sexy. Je lui ai fait remarquer. Elle était heureuse de se sentir regardée, « belle ». Il faut dire que depuis 2 ans, jamais elle n’avait osé se mettre en lumière, se faire voir, si vous voulez…

Nous sommes beaux dans le regard de l’autre, on a besoin de mots pour se revoir dans le miroir comme positif.

Que racontent les hommes sur le divan ? 

Les hommes sont autant victimes de tous les diktats qui pèsent sur les rapports hommes-femmes. 

Ils ont peur des féministes. Et pourtant, s’ils savaient ce qu’une femme libérée pourrait leur apporter. La virilité qui est l’image dominante les met gravement en péril. Si les hommes croient qu’on les aime pour ça, ils vont être mis de façon presque inéducable en échec. S’ils se résument à leur pénis, l’érection leur fera de plus en plus défaut avec l’âge.

C’est l’équivalent dans mon livre du personnage d’Arielle, cette femme qui pensait que sa beauté était son arme absolue. Elle a compris à 50 ans, quand son mari l’a quittée pour une plus jeune, qu’elle ne pouvait pas se résumer à ça. 

La virilité, c’est pareil. Si les hommes misent tous sur leur pénis, ça va être compliqué en vieillissant. S’ils acceptent leur vulnérabilité, ils s’entourent de femmes qui ne sont pas dans le schéma Sujet-Objet, ils seront en sécurité et satisfaits ! 

Quand les problèmes érectiles pointeront leur nez, comme souvent ils le font après 50 ans, s’il n’y a pas eu de communication sexuelle avec madame, ils vont être mal. C’est en parlant avec des femmes libérées qu’ils seront aimés. 

Entourés de femmes objets, ils ne seront que défaillants. 

C’est rassurant de se dire qu’on on va tous dans le même sens. 

Il faut comprendre le féminisme comme un humanisme sur tous les plans

Être dans la situation du sujet dominant mène aussi les hommes à l’échec.  

Leur sensibilité et vulnérabilité sont les bienvenues.

Vous verrez que tout un jeu de connivences comble les défaillances.

Quand les enfants partent pour un couple, c’est un moment particulier. Il faut souvent faire un « restart »

Les enfants, le travail font diversion et à la retraite, ou même avant, le couple se retrouve face à face. 

On avait avec les enfants de quoi nous équilibrer, faire diversion. Si on n’a plus rien en commun, c’est le grand vertige ! 

Mais il n’est jamais trop tard pour agir. J’ai un patient qui vient de vendre sa maison pour partir en province, la province de Madame. 

Elle va retrouver sa famille, il la suit, elle aura sa famille et lui son atelier de peinture. C’est nouveau projet qui les unit. J’ai vraiment senti qu’ils rajeunissaient. Ils sortent de leur routine, se réinventent. C’est beau de les voir se tenir la main, il y a un rapprochement physique qui s’opère de cette nouvelle complicité. Ce n’était pas possible de passer du rien qu’était leur sexualité depuis 20 ans, à une sexualité épanouie. Mais sur le chemin pour retrouver cette complicité charnelle, ils « re-rient » ensemble, se « relient », ils refont « couple ». 

Sans cela, ça n’aurait pas été possible !

Aussi, dans certains cas, il vaut mieux se séparer pour que chacun aille vers d’autres partages de vie. Si on se confronte à une des peurs (qui est de se retrouver seul), cela peut nous faire accepter finalement les choses.  

Comment, pour finir, se parler à soi pour mieux savoir où on en est ? 

J’aime l’idée de revenir à la petite fille ou au garçon qu’on a été. Puis-je défendre la vie que je mène devant cette petite que j’étais ? Suis-je à la hauteur du désir de ce petit enfant ? Ça demande une bonne dose d’honnêteté à l’égard de soi-même.

Cela permet une introspection.

Sauver le couple à tout prix, si c’est se trahir : il faut choisir entre oui et non.

Notre article pour en savoir plus sur le livre de Catherine Grangeard https://www.konenki.fr/il-ny-a-pas-dage-pour-jouir/